L’âme sœur, le zivoug
Mythe ou réalité ?
Sortons de sentiers battus et suivons rav Elhanan Wasserman, le grand élève du saint Hafets Haïm.
Une partie de enseignements de ce grand maître, assassiné par les nazis au fort de Kovno, en 1941, ont été consignés dans son Kovets maamarim.
Voici ce qu’il écrit en page 42 :
Il cite le traité Kiddouchin 40a :
Rabbi Ilay a enseigné : si un homme voit que son mauvais penchant prend le dessus sur lui, il ira dans un endroit où on ne le connait pas. Il s’habillera de vêtements noirs, se recouvrira de vêtements noirs et il agira selon ce que son cœur lui inspire. Mais il ne transgressera pas le Nom divin en public.
Autrement dit, l’homme suivra son instinct et fautera. Il ne tentera pas de s’opposer à cette tentation. L’essentiel résidant dans l’anonymat ; il ne doit surtout pas transgresser l’interdit en public, et ainsi, profaner le Nom Divin.
Deux grands maîtres des écoles du moyen-âge, le Rif (rabbi Ytshak Ekfassi ; 1013-1088) et le Roch (rabénou Acher ; 1270-1343) questionnent ce texte :
On ne tient pas le point de vue de rabbi Ilay. En effet, on pense « que tout vient du Ciel sauf la crainte du Ciel » (traité Brakhot 33b)
L’homme peut et doit lutter. Il a les moyens de lutter et d’emporter la bataille. Pourquoi donc lui laisser cette possibilité de perdre une bataille qu’il ne mène pas. Il semble, d’après ces deux grands maîtres, que rabbi Ilay pense que nous n’avons pas de libre arbitre.
Serait-il donc possible que certains de nos maîtres pensent que nous ne sommes pas libres et que nous sommes sous l’emprise du déterminisme ?
Il semble, écrit rav Elhanan Wasserman, que rabbi Ilay ne soit pas d’accord avec le principe du libre arbitre. En effet, il pose clairement la possibilité pour un homme de se soumettre à son mauvais penchant, de suivre les inclinations de son cœur et donc, de ne même pas tenter de lutter contre ses mauvaises incitations. Or, cette possibilité relève de l’impensable. En effet, la Torah repose sur le principe du libre arbitre et de la responsabilité personnelle de nos actes : Vois, J’ai posé devant toi aujourd’hui et la vie et le bien, et la mort et le mal (Devarim 30). Tu as le choix ; tu es un être choisissant. C’est l’essence même de ton être.
Comment rabbi Ilay peut-il refuser un tel principe ?
Les implications de ce texte pour l’âme sœur
Maïmonide, dans ses lettres, s’intéresse à un autre texte en lien avec cet enseignement de rabbi Ilay.
40 jours avant la conception de l’embryon, une voix céleste sort et proclame « la fille d’untel se mariera avec untel » ; traité Sota 2a.
Les mariages sont fixés par le Ciel avant même la naissance. L’union maritale obéit à un déterminisme absolu. C’est ce que proclame ce texte du Talmud.
Maïmonide écrit que cet enseignement ne s’applique pas. En effet, écrit-il, le mariage d’un homme et d’une femme relève du domaine de la mitsva, du commandement divin. Or, écrit le grand maître, la liberté a été donné à chacun d’observer, ou pas, les commandements divins. Un homme peut se marier ou au contraire, rester célibataire jusqu’à la fin de ses jours.
Maïmonide est donc en désaccord avec un texte du Talmud en raison d’une question. Etonnant, n’est-ce pas ?!
Or, écrit rav Elhanan Wasserman, à la lumière du texte que nous avons cité, tout s’éclaire.
Nos sages étaient en désaccord sur le principe du libre arbitre. Certains pensaient que l’homme n’a pas de libre arbitre, d’autres pensaient qu’il est effectivement libre.
L’auteur de l’enseignement du traité Sota, celui qui nous enseigne qu’une voix céleste annonce les unions maritales, pensait que l’homme n’a pas de libre arbitre. Il est d’accord avec rabbi Ilay mais il en désaccord avec l’immense majorité des maîtres du Talmud et du Zohar.
Nous avons donc ici deux écoles de pensée : une qui proclame une liberté et une responsabilité et une autre qui proclame le déterminisme.
Maïmonide nous apprend que l’on a retenu l’avis de l’école de la liberté, du libre arbitre et de la responsabilité.
Cet enseignement nous pose une énorme question : il n’y aurait donc pas d’âme sœur. La notion de zivoug, de « retrouvaille » des âmes lors du mariage, seraient une pure invention ?! Ce serait étonnant car ce concept est cité dans le Talmud comme dans le Zohar, dans les textes normatifs comme dans les textes ésotériques.
Se marier ; qu’est-ce qu’on cherche ?
Beaucoup veulent se marier.
Mais que cherchent-ils au juste ? L’âme sœur ou le/la partenaire de vie.
En fait, les sages n’aiment pas nous voir chercher l’âme sœur. Car au fond, nous ne savons pas si la personne que nous épousons est réellement notre zivoug, notre âme-sœur, notre moitié de Nechama. Et de fait, nous n’en avons pas les moyens.
Nous pouvons savoir si nous partageons des valeurs, un mode de vie, un projet de vie, un projet éducatif, un niveau d’engagement dans la Torah. Mais nous n’avons aucun moyen de savoir si la personne que nous épousons est « la bonne ».
Il nous faut donc arbitrer la question que nous avons soulevée de la manière suivante :
Il est clair que le concept d’âme sœur existe bel et bien.
Cependant, avant la houppa, avant le mariage, il n’est d’aucune pertinence.
Avant le mariage je dois me fier à des critères rationnels, quantifiables : physique, mental, spirituel.
Est-ce que cette personne me plaît physiquement, mentalement ?
Est-ce que nous partageons un projet de vie ?
Est-ce que nous voulons aller dans la même direction de vie ?
Sommes-nous d’accord sur l’éducation que nous allons donner à nos enfants.
Voulons-nous vivre en Israël ou en dehors d’Israël ?
Est-ce que sa famille présente des problèmes relationnels ?
Par contre, après le mariage, cette notion de zivoug, d’âme sœur devient fondamentale.
Tout couple qui est passé sous la houppa doit le savoir, se le répéter et l’intégrer : son mariage a été voulu par le Ciel. Il a la bénédiction divine. Il bénéficie de cette force qui s’exprime par « cette voie céleste » qui a proclamé « la fille de Untel se mariera avec Untel ».
Le zivoug est une réunion de l’âme éclatée, dispersée et morcelée.
Dans les moments de crise, il convient de se souvenir que la Chekhina, la présence divine, pleure avec les conjoints, lorsque ceux-ci se déchirent, s’insultent et se détestent, devant leurs malheureux enfants, qui sont eux-mêmes anéantis par ce spectacle.
Oui, effectivement, c’est là, dans le désordre qu’il faut se rappeler que la haine dans les couples est une insulte à la sagesse divine Qui a voulu ce mariage, et qui nous invite donc à travailler notre caractère.
A réfléchir.
Bon courage à nous tous
Mordekhaï Bitton